Naoto Matsumura, « le dernier homme de Fukushima », qui participait hier à la manifestation antinucléaire à Fessenheim, sera l’invité de la prochaine Caméra citoyenne à Guebwiller, samedi 15 mars. Pour Véronique Berkani, membre du Collectif citoyen de Guebwiller, cette soirée, organisée avec l’association Agir ensemble de Soultz, doit nous faire prendre conscience qu’il est urgent de parer au danger du nucléaire.
Véronique Berkani : Les soirées « Caméra citoyenne » existent depuis 2008 et ont été créées dans un objectif d’éducation populaire. Elles s’articulent en deux moments : la projection d’un film ou d’un documentaire suivie d’un débat avec des invités « experts ». L’accès est gratuit. Elles étaient initiées au départ par Les Verts, puis organisées en alternance avec le Collectif citoyen de Guebwiller et le Café repaire. Dernièrement, l’association Agir ensemble de Soultz s’y est adjointe.
Naoto a accepté une fois de se livrer à une spectrométrie du corps entier dans le laboratoire d’une université de Tokyo. On lui a seulement dit qu’avec son taux de contamination interne, il ne fallait plus qu’il mange de produits contaminés. Le docteur qui l’a examiné lui a dit qu’il était un « champion des radiations »* mais les niveaux de césium et d’autres métaux radioactifs ne lui ont pas été dévoilés. Naoto, qui a 53 ans, ne sait pas combien de temps il lui reste à vivre. Il sait que dans deux ou cinq ans, les premiers cancers et leucémies apparaîtront et, dans dix ans, les tumeurs. Mais le lien qui le retient à Tomioka est plus puissant que la peur de mourir. Rester sur place est sa façon de combattre.
Il boit de l’eau de source, mange des boîtes de conserve, du riz et des nouilles lyophilisées, pêche parfois des poissons dans une rivière voisine. Il sort de la zone interdite autour de la centrale pour s’approvisionner en produits de première nécessité. Il lui est arrivé de manger des croquettes ou des boîtes de conserve pour animaux.
Depuis Tchernobyl en 1986, nous savons tous que toutes les informations sur le nucléaire sont biaisées et que, pour se faire sa propre opinion, il faut faire une recherche personnelle auprès des organismes indépendants comme « Sortir du nucléaire », la Criirad… car le lobby du nucléaire veut préserver les marchés à venir. À Fukushima, des milliers de mètres cubes d’eau hautement contaminée se déversent dans la mer depuis trois ans, les coeurs des réacteurs en fusion continuent à s’enfoncer dans le sol, la catastrophe est loin d’être sous contrôle et la région autour de la centrale – et bien plus loin que le périmètre condamné – est un territoire mort, hautement radioactif, et cela pour des centaines d’années. Des milliers de victimes mourront de mort lente sur plusieurs années car la contamination nucléaire est insidieuse.
Le choix du nucléaire est fondé sur une indépendance énergétique toute relative, l’approvisionnement en uranium dépend de gisements à l’étranger. Cette énergie n’est pas sans danger (déchets radioactifs…) et elle est très chère car, dans le prix payé par le consommateur, on ne prend pas en compte le démantèlement des centrales, qui devront l’être tôt ou tard. Il faut donc réfléchir à d’autres sources d’énergie qui ne pourront être qu’un pack diversifié d’énergies renouvelables. En même temps, il faut réduire notre consommation, en isolant les bâtiments, par exemple. La centrale de Fessenheim, située sur une zone sismique, présente les risques d’une vieille installation, souvent arrêtée, en panne, très coûteuse en entretien. Elle doit donc être fermée. Mais le démantèlement, qui va durer des dizaines d’années, va aussi créer de très nombreux nouveaux emplois. Pour la région, cela ne changera pas grand-chose, la centrale de Fessenheim était fermée déjà plusieurs fois, et sur des périodes assez longues, sans que rien n’ait changé dans la vie quotidienne. Une soirée comme celle du 15 mars, avec ce témoignage du « dernier habitant de Fukushima », est là pour que nous prenions la mesure du danger avant que cela n’arrive, pour ne pas dire ensuite : « Nous ne savions pas ».
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