jeudi 13 février 2014

Les déchets

Au lendemain d'une réunion publique désolante par le niveau des interventions de la salle, il nous semble important de rappeler certains principes.
Pour cela, nous publions l'intervention de Christian WEISS faite à l'occasion du débat sur les déchets lors de notre forum social le 13 septembre 2013.


POLITIQUE DES DECHETS     

Par Christian WEISS

JE ME PRESENTE

J'étais élu au Conseil Municipal de Murbach et je suivais les dossiers du District sans être délégué intercommunal car je savais bien que la « politique du territoire » se faisait au sein de cette collectivité et non plus dans les conseils municipaux qui ne faisaient que valider ce qui avait été discuté et voté ailleurs....

Au mandat suivant, j'ai été aussi élu comme délégué de la commune auprès du District puisque mes collègues voyaient bien mon investissement en temps pour bien les informer sur des dossiers traités avec un autre éclairage que ce que leur racontait maire et adjoint qui étaient leurs représentants-délégués jusque là. J'étais alors le seul conseiller municipal délégué puisque tous les autres étaient maires et adjoints. Ce fut aussi le moment où le District devient Communauté de Communes, où M. Haby cède son siège. Je suis resté à la Com Com jusqu'en 2011 après les élections Cantonales où j'ai été forcé de déménager.

UNE DEMARCHE COLLECTIVE, POLITIQUE  ET MILITANTE

Impliqué aussi dans la vie politique militante et associative, je faisais porte-voix de ce monde associatif auprès de la Com Com.

Pour moi, il est toujours vital pour avoir de la crédibilité et rester près de la préoccupation de la population d'être sur deux terrains, à la fois l'associatif citoyen et dans les instances décisionnelles.

Ce n'est qu'ainsi qu'on peut faire avancer les dossiers et faire évoluer les décisions.

J'ai appris aussi que pour arriver à changer les choses, il faut être persévérant, patient et surtout cohérent, tenace, ne pas traiter trop de choses à la fois, mais une chose après l'autre.

Ainsi, avant le dossier des déchets, nous nous étions battus (avec les copains des associations et du parti) pour une plus grande justice concernant l'assainissement non-collectif où après une bataille de 3 ans, nous avons obtenu la rétrocession de cette compétence aux communes et la fin du paiement d'une seule redevance pour des services inégaux. Ce fut une première victoire, quasi seul contre tous au sein de la Com Com, mais avec les copains de l'association que nous avions crée, l'ADUA, pour aller devant les tribunaux.

DECHETS

Après l'assainissement non-collectif, on a commencé à travailler sur la problématique des déchets en 2004. Quelle était alors la situation ?

En 1999, on en était à 245 kg/hab/an de déchets non-triés (OM) et 184 de déchets triés ;

En 2005 ; OM non-triés 240 kg, triés 264 kg.

Il y avait en place :

  • une collecte hebdomadaire au porte à porte des déchets non-triés qui allaient à l'incinérateur d'Aspach-le-Haut et dont les résidus hautement toxiques étaient déversés à la décharge de Retzwiller.
  • une collecte hebdomadaire au porte à porte des sacs de déchets triés (papier, carton, plastique, aluminium,...) qui étaient ensuite recyclés, valorisés-revendus
  • les collectes étaient effectuées par une entreprise privée qui imposait ses tarifs en augmentation permanente
  • deux déchetteries à accès gratuit limité en volume (Buhl et Soultz)
  • quelques points d'apport volontaire
  • le paiement du service (collecte et traitement) au travers de la TEOM (taxe Enlèvement des Ordures Ménagères) dont le montant était établi en fonction de la Taxe Foncière sur la propriété et donc totalement inégalitaire par rapport au volume-poids des déchets qu'on donnait à traiter.

La bataille de l'incinérateur

Dans le Haut-Rhin, il y avait trois incinérateurs (Colmar, Sausheim, Aspach) dont le dernier était obsolète et émanait des particules toxiques (dioxines, furanes et autres) qui se fixaient dans les graisses et qu'on retrouvait dans les œufs, le lait, la viande. Elles se déversaient aussi sur les jardins potagers et cultures aux alentours. Le département voulait remplacer l'incinérateur de Aspach, en construire un nouveau pour un coût à hauteur d'au moins 60 millions €.

Cette façon de faire était dans la logique des élus, très conservateurs, qui ne cherchaient pas très loin d'autres façons de faire, mais simplement continuer ce qui avait toujours été, dépenser l'argent public sans discernement en se basant sur des « bureaux d'études de spécialistes », puisque tous les dossiers étaient, selon leurs dires, « très compliqués », « pas aussi simples »....

Pour moi, un homme politique, un élu doit être un peu visionnaire, imaginer la vie, son territoire dans 10 ou 20 ans, se renseigner sur ce qui se fait ailleurs, oser l'expérimentation, être courageux, avoir des convictions, ne pas avoir peur de se confronter à l'immobilisme et au conservatisme ambiants, être prêt à encaisser des coups et des « attaques » basses et blessantes....

Comme pour l'assainissement non-collectif, une association s'est créée afin de se battre contre la construction d'un nouvel incinérateur en expliquant qu'on ne pouvait pas continuer à incinérer en mettant notre santé en danger par les rejets toxiques, continuer à mettre en décharge et polluer l'eau potable, la nappe phréatique avec un volume toujours plus important, que de décider de construire un nouvel incinérateur c'était ne pas réfléchir à d'autres solutions qui consisteraient à diminuer le volume des déchets, de valoriser, trier plus, de trouver de nouvelles filières pour les déchets organiques par la méthanisation, d'agir sur les producteurs de déchets, d'éduquer à acheter autrement, à manger différemment même en privilégiant les circuits courts de distribution et de production alimentaire. Ce fut donc NIAH (Non à l'Incinérateur de Aspach-le -Haut) qui mena ce combat au niveau associatif avec des cycles de réunions d'information, d'interpellation des élus, de manifestations à Cernay et devant le Conseil Général. Au niveau institutionnel, ce combat se mena par quelques élus courageux au sein du SM4 (Syndicat Mixte du secteur 4) qui gérait ce dossier et au sein des différentes Com Com's du secteur 4. Là encore, je fus le seul délégué à la Com Com de Guebwiller au début à mener ce combat et cette réflexion peu à peu suivi par Paul Coleiro (délégué-adjoint d’Issenheim) et plus tard par François Meyer, maire de Jungholtz.

Le discours des délégués de la CCRG (Communauté de Communes de la Région de Guebwiller) était qu'il n'y avait pas d'autres solutions que l'incinération, que le volume des déchets augmentait chaque année. Mais ce qu'ils ne voulaient pas dire publiquement c'était aussi que chaque année l'entreprise qui collectait les ordures augmentait ses tarifs de façon complètement irrationnelle, uniquement basés sur le manque de concurrence et de ce fait exerçait un réel racket des prix. D'autre part, les tarifs d'incinération augmentaient aussi chaque année ce qui faisait que la facture globale des déchets arrivait à des hauteurs impressionnantes.

La TEOM complètement injuste, la RIOM-REOM un système qui responsabilise

Le résultat et seule solution pour ces élus fut donc d'augmenter les taxes et on arriva ainsi en septembre 2005 au vote de l'augmentation de la TEOM de 109 %. Quand on touche au porte-monnaie, cela fait enfin réagir la population et nous avons mobilisé sur ce point financier pour aboutir à une grande manifestation devant le siège de la CCRG en octobre 2005.

Le bureau de la CCRG (présidé par Daniel Weber, maire de Guebwiller) fit donc faire une étude sur les différents systèmes de paiement (taxe ou redevance), une étude (chère) complètement biaisée qui arrivait à la conclusion dictée par le président de la CCRG que les systèmes se valaient et qu'il n'y avait pas lieu de changer. Il n'y avait que 3 délégués pour s'en offusquer. Et là on ne traitait que de l'aspect financier et pas du tout de ce qu'il était possible de faire pour diminuer le volume des déchets, de mieux trier encore pour valoriser et revendre les produits triés.

Il a fallu se battre encore de longs mois, des années aussi bien avec des actions au sein de l'association NIAH que dans les instances pour faire évaluer le système. Cela arriva cependant puisque (et je saute des épisodes dans le détail) en 2008, le projet de construction d'un troisième incinérateur dans le Haut-Rhin fut abandonné, Aspach fermé et il resterait Sausheim, incinérateur récent et Colmar, remis aux normes. D'autre part, nous avons continué à mettre la pression pour mettre en place la collecte des bio-déchets, à informer et éduquer pour diminuer à l'achat le volume des emballages, augmenter la mise en place des plate-formes d'apport volontaire et surtout responsabiliser les habitants en passant du système injuste de la TEOM taxe à la REOM, redevance basée sur le poids réel des déchets non-triés qu'on donne à traiter (incinérer-enfouir).

Une commission de travail fut enfin créée au sein de la CCRG (le président Weber avait entre-temps été remplacé par Marc Jung, maire de Issenheim) et un travail de fond fut entrepris pour arriver à plus de justice pour les habitants et un système cohérent avec un financement équilibré pérenne et maîtrisé du budget d'un montant d'environ 5 millions d'€.

Le résultat, même s'il n'est pas encore parfait, a fait évoluer considérablement le service des déchets sur le territoire de la CCRG :

  • une collecte hebdomadaire des déchets non-triés qui vont à l'incinérateur de Sausheim
  • une collecte hebdomadaire des sacs de déchets triés (papier, carton, plastique, aluminium,...) qui sont recyclés, valorisés
  • une collecte hebdomadaire supplémentaire pour les déchets organiques (avec mise à disposition d'une nouvelle poubelle et sacs biodégradables)qui devraient être à terme traités sur le territoire sur une plate-forme de valorisation énergétique (méthanisation)
  • les collectes sont effectuées par une régie intercommunale de 5 bennes (FloRiom SPL) dont le coût peut donc être contrôlé et maîtrisé
  • deux déchetteries à accès limité en volume avec contrôle par un badge et pesée pour mesurer l'évolution des flux et paiement des excès. Il y a aussi eu une diversification de tri plus fine avec les déchets électriques, les produits dangereux, l'amiante à dépôt gratuit pendant deux ans, une séparation entre professionnels et particuliers,...
  • la mise en place d'une recyclerie gérée par une association pour encore augmenter le tri et la valorisation avant la déchetterie.
  • une démultiplication des points d'apport volontaire
  • l'incitation au compostage individuel par la mise à disposition de composteur à très bas prix et cycles de formation
  • le paiement au travers de la REOM-RIOM (Redevance Incitative des Ordures Ménagères) qui est basée de façon juste collectivement et responsable individuellement sur le volume des déchets que chacun-e donne à éliminer avec une part fixe basée sur le coût de la collecte, du traitement et de 12 levées par an et une part variable basée sur le volume (taille de la poubelle choisie par chaque foyer)
  • une gestion effectuée par les services de la CCRG alors que pour la TEOM c'était le Trésor Public qui le faisait et prenait 6 à 8 % comme rémunération.

Les arguments des conservateurs

La mise en place de cette nouvelle politique qui aurait du se faire depuis 2 ans a été retardée pour permettre une meilleure information et mise en place dans l'habitat collectif dans un premier temps, puis par blocage de certains élus (dont le maire de Guebwiller) selon un argument qui disait que certains foyers qui ne payaient rien jusque là, allait devoir acquitter la Redevance à présent. Sans compter encore ceux qui disaient que le voisin allait remplir leur poubelle et qu'il fallait des cadenas ! Les uns confondaient politique sociale et politique des déchets en sachant que les déchets de ceux qui ne payaient pas avant étaient pourtant pris en charge et payés par la collectivité ; les autres oubliaient qu'on ne pouvait pas remplir plus une poubelle déjà pleine...

Il est aussi des cas où la facture semblera plus élevée que le paiement par la taxe TEOM. Mais ceux-là oublient que le système était totalement injuste. Pour exemple, une personne seule (souvent âgée) dans une grande maison familiale payait très cher alors qu'elle produisait peu de déchets, alors qu'une famille de plusieurs personnes, locataire dans un appartement, ne payait quasi rien alors qu'elle donnait un volume important de déchets à collecter et traiter.

Le territoire de la CCRG, comparativement à d'autres com com's fait aujourd'hui parti de ceux qui ont le meilleur système et le plus complet en place et je suis fier d'avoir contribué (avec quelques rares autres) à cette évolution en sachant d'où nous sommes partis et combien la bataille pour transformer, faire évoluer les mentalités, a été long et parfois douloureux.

Il faudra cependant encore pas mal d'efforts pour continuer à diminuer le volume total des déchets. Le passage à la RIOM qui responsabilise chacun peut y contribuer comme cela s'est remarqué sur la Communauté de Communes de la Porte d'Alsace (Dannemarie) qui, grâce au combat du maire de Manspach, Dany Dietmann, a été précurseur de l'incitativité par la pesée. Là-bas, la moyenne des levées est de 12 par foyer et par an et la collecte moyenne est aujourd'hui de 78 kg/hab/an.

Etat des lieux en 2013 et évolution globale de la politique des déchets
A la décharge départementale de Retzwiller, on enfouie aujourd'hui plus que des D.I.B. (Déchets Industriels Banals) et le tonnage est passé de 225 000 tonnes/an il y a encore peu de temps à 100 000 t/an maintenant avec un objectif à 50 000 t/an en 2020.

Les tonnages brûlés dans les incinérateurs de déchets ménagers (Sausheim, Colmar) diminuent de façon très importante alors qu'il y a peu, on nous disait qu'ils étaient remplis en permanence et qu'il fallait investir pour en construire un troisième, qu'il n'y avait pas d'autres solutions.

Une nouvelle filière se met en place avec les C.S.R. (Combustibles Solides de Récupération) qui font leur entrée en force dans les cimenteries  (Combustion à 1300°) et dans des chaudières spécialisées.
Les Combustibles Solides de Récupération (CSR) sont utilisés pour remplacer charbon-coke et fuel donc en valorisation calorifique. Les déchets utilisés pour fabriquer du CSR sont des DIB et des encombrants de déchetteries de qualité hétérogène ou  trop volumineux. Ils sont composés de bois, plastiques sans chlore, papiers, cartons.....
En l’absence de chlore, il n'y a pas formation de dioxines, mais l’extraction des « plastiques » PVC (Poly Vinyls Chlorure) des Déchets Industriels (DIB) reste malgré tout très préoccupant. En effet,  la réglementation de filtration des fumées de combustion sur les chaudières et cimenterie (1300°) est beaucoup moins draconienne que celles de l’incinération classique (800°).

Mais cela permettra à terme, en continuant de trier, de faire des efforts pour réduire les déchets ménagers à la source, à fermer la voie de l’incinération classique des déchets ménagers en mélange.
C’est là que l’on comprend l’évidence de la nécessité de porter tous les efforts vers la source de fabrication des produits et des emballages de sorte à ce qu’ils ne soient que réutilisables ou recyclables, et non simplement combustibles.

EN GUISE DE CONCLUSION

Je ne voulais pas, dans cet exposé, rentrer dans tous les détails de ce dossier, vous abreuver de chiffres, mais vous faire sentir le cheminement difficile pour arriver à faire changer les décisions politiques vers plus de justice, l'évolution dans la réflexion vers un service cohérent et complet moins soumis au diktat de lobbies de l'environnement. Montrer aussi qu'il faut de la persévérance, croire en ses convictions profondes, travailler sur deux niveaux, au sein d'associations actives avec des relais dans les instances décisionnelles, agir collectivement, resté concentré sur les objectifs qu'on se choisit.

Il ne faut pas avoir peur de passer pour un rêveur, un idéaliste, quelqu'un qui ne connaît rien, se laisser déstabiliser devant des difficultés et des obstacles qu'on placera sur votre chemin, se laisser fragiliser par des attaques verbales blessantes.

Notre force est dans la conviction, notre désir de construire un autre monde possible, plus juste, plus démocratique, plus solidaire.